26.8.06

Vendredi 18 août, 18h

J'écris aujourd'hui sous une chaleur atroce, et en espérant éviter une panne de courant qui viendrait me priver de l'appareil merveilleux qu'est le ventilateur. Les pannes de courant, en effet, sont particulièrement fréquentes ces jours-ci, sans doute favorisées par les conditions climatiques. Je crois qu'il fait même plus chaud que dans les premiers temps de mon arrivée en Inde, il y a un mois.

Un mois, oui. Un dixième de mon séjour en Inde, déjà, et j'ai pourtant toujours l'impression d'avoir atterri il y a peu de temps. Il me reste tellement à découvrir et à apprendre que les neuf mois qui restent me semblent dérisoires. Plus que jamais, je ressens le gigantisme et la richesse de l'Inde. Je crois que j'en ai plus que jamais pris conscience en allant à Jaipur, en y passant trois jours et demi sans réussir à tout voir, et en regardant, sur une carte, l'immensité du seul Rajasthan - dont Jaipur est la capitale. Dans ce seul Etat, il y a tellement de choses à voir, et les distances sont si grandes, que l'idée de l'Inde entière donne le vertige. Irai-je seulement dans le Sud, tant il y a à faire dans le Nord? Combien de temps pour se faire une idée de Varanasi (Bénarès), de Kolkata ou de Mumbai (Bombay), si quatre jours suffisent à peine pour connaître Jaipur?

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Jaipur, donc, a été ma première excursion hors de Delhi, rendue possible par un week-end prolongé : le 15 août - c'était mardi - est la fête nationale, l'Independance Day, le 16 août est aussi férié pour célébrer la naissance de Krishna, et je me suis autorisé à faire le pont et à sécher mes cours de lundi.

Voilà donc qui m'a permis de passer à Jaipur trois jours et demi, de samedi soir à mercredi midi, en compagnie de Grégoire et Loïc, mes deux premiers amis français à me rendre visite. Nous avons fait le trajet en cinq ou six heures de bus - dans un bus d'ailleurs climatisé et tout-à-fait digne des standards occidentaux, à ma grande surprise - et nous sommes arrivés à la nuit tombée en la capitale du Rajasthan, fondée au XVIIIème siècle par Sawai Jai Singh II, un homme d'état, de lettres et de sciences, une de ces grandes figures éclairées - mais, là encore, je n'ai pas la prétention, ni même la volonté de me lancer dans la rédaction d'un guide touristique.

Notre hôtel mérite qu'on en dise quelques mots, en ce qu'il incarne parfaitement le modèle d'hôtel correct et bon marché que l'on peut trouver en Inde, en-dehors de guesthouses et auberges vraiment glauques, et de palaces trop coûteux. L'hôtel où nous sommes allés à Jaipur, ainsi, est typiquement le genre d'hôtels des jeunes touristes Occidentaux. D'ailleurs, j'y ai croisé des camarades de ma classe de terminale, que je n'avais plus revus depuis le bac, et qui faisaient un voyage itinérant d'un mois en Inde. Stupéfiante rencontre, une de celles qui nous font penser que le monde est petit, jusqu'à ce que l'on se rappelle que l'Inde, à elle seule, est immense.

Pour deux cents roupies par personne et par nuit, nous avions une chambre un peu triste mais à peu près propre, climatisée - ce qui est appréciable -, et meublée sommairement mais décemment. La salle de bains n'inspirait pas un sentiment de propreté irréprochable, mais tout fonctionnait correctement, et, oh surprise!, la cuvette des toilettes était orientée de façon rationnelle. Ni draps, ni savons, ni serviettes de bain, ni papier toilette n'étaient fournis. A la réflexion, j'aurais dû m'y attendre, mais fort naïvement j'avais cru trouver tout cela à disposition en arrivant... On ne m'y reprendra plus.

J'ai beaucoup aimé Jaipur. La ville compte nombre de monuments magnifiques : le Hawa Mahal, palais des vents avec une imposante façade rose percée de petites fenêtres d'où les femmes pouvaient observer la rue sans être vues ; Jantar Mantar, qui rassemble toute une série d'instruments astrologiques, astronomiques et météorologiques étonnants, souvent impressionnants ; le City Palace, qui donne une idée assez complète des merveilles de l'architecture moghole. Dans les rues, très animées, se succèdent les boutiques qui vendent au touriste l'artisanat local, des miniatures représentant les dieux hindous aux tapis de soie, en passant par divers objets de plus ou moins bon goût en métal, et par les bijoux et les pierres précieuses qui ont fait la réputation de Jaipur. Il faut se promener dans ces rues, y croiser les vaches, particulièrement nombreuses, les singes, les chiens, les ânes, les chameaux tirant d'antiques charettes, et les éléphants, qui, eux, ne sont que des attractions. Il faut, surtout, se laisser accoster par la population, qui parle souvent une ou deux langues à touristes, et notamment le français. Les gens sont extrêmement chaleureux, et, si ce n'est pas toujours tout-à-fait désintéressé, cela reste plaisant, jusqu'à ce que ça devienne un peu étouffant : si nous avions accepté tous les thés qui nous ont été proposés par des gens prétendant avoir plein d'amis français, nous n'aurions jamais rien visité. Vient un moment où l'on ressent le besoin de s'échapper un peu : il faut alors aller visiter les forts qui se dressent sur les hauteurs entourant la ville au Nord Ouest, forts qui s'apparentent davantage à de somptueux palais qu'à de menaçants bastions, et d'où l'on a une vue superbe sur Jaipur.

Voilà le Jaipur touristique, qui, incontestablement, vaut le détour.

Cependant, de Jaipur, je retiendrai surtout une promenade que nous avons faite, le dimanche après-midi, hors des sentiers battus. C'est alors que nous avons découvert le Jaipur indien, qui est plus intéressant encore, car plus authentique. Immédiatement, l'attitude de la population à l'égard des touristes change : on sent chez ces gens une moins grande habitude de voir des Occidentaux, une plus grande curiosité à leur égard. Pendant trois heures, nous avons été dévisagés, mais sans que cela devienne pesant. Cela avait même quelque chose d'émouvant : car dans ces regards qui se posaient et s'attardaient sur nous, il n'y avait jamais la moindre trace d'hostilité, il n'y avait toujours qu'une enveloppante bienveillance, soulignée par des sourires doux et vrais, comme seuls les Indiens, et surtout les enfants indiens, doivent savoir en faire. Lorsque l'on arpente ainsi pendant trois heures des rues indiennes, hors des sentiers battus, on vit une aventure humaine extraordinaire, et l'on se sent une affection immense à l'égard de ce peuple extraordinaire, humainement si riche, si touchant. L'on est là, son appareil photo à la main, devant des gamins aux sourires angéliques, aux regards profonds ; et, lorsqu'on cède à leur demande, lorsqu'on accepte de les photographier, on a l'impression de leur faire le plus beau cadeau de leur vie - alors même qu'on ne leur donne rien en échange, et qu'ils ne verront jamais la photo que sur l'écran de l'appareil. Ce n'est que le soir, lorsqu'on regarde les clichés que l'on a pris pendant la journée, que l'on s'aperçoit vraiment que le cadeau, ce sont eux qui l'ont fait : ces portraits improvisés, si peu talentueux soit-on, sont à coup sûr les images les plus belles que l'on puisse emporter de l'Inde, loin devant les clichés toujours semblables et impersonnels des monuments.

L'Inde, on la trouve dans ces sourires et ces regards d'enfants, bien plus que dans le marbre du Taj Mahal. L'Inde, avant d'être un pays, c'est un peuple.

1 Comments:

Anonymous Anonyme said...

Ce petit article ,très bien présenté, permet de mieux cerner et comprendre quelles sont vos activités en Inde ;question à laquelle je me posais depuis un certain temps...!
Je vois que vous etes bien occupé, et je me demande comment vous trouver encore le temps d'entretenir votre journal en y apportant toujours autant de soin et d'application. En tout cas, Bravo et bonne continuation!!

31 août, 2006 19:32  

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