6.8.06

Jeudi 3 août, 22h30

Véritables icônes de l'Inde, les "vaches sacrées", qui peuplent les routes en compagnie de quelques ânes et de beaucoup de chiens errants, maigres, sales, blessés et maladifs, illustrent bien le rapport qu'entretiennent les Indiens, ou du moins les Hindous, avec la nature. Anita m'en a dit un peu plus sur ces grosses bêtes noires, blanches, grises ou brunes, et bossues. (Anita est une femme indienne de trente-et-un ans, courte et ronde, originaire du Nord de Delhi. Elle est anthropologiste, elle étudie les tribus de l'Himalaya - et plus particulièrement de la région du Ladakh - parmi lesquelles elle passe plusieurs mois chaque année. J'ai eu la chance de la rencontrer, grâce à Dhruv.)

Anita m'a expliqué que les vaches appartiennent pour la plupart à quelqu'un. Cela m'a surpris : je m'étais imaginé, en les voyant errer ainsi dans les rues, qu'elles n'avaient pas de maître, et qu'elles arrivaient de nulle part, pour ainsi dire. En réalité, leurs propriétaires les laissent libres : toute la journée, elles se promènent selon leur gré, mangent ce qu'elles trouvent, dans les poubelles ou ailleurs, ou ce que les passants leur donnent, et, le soir, s'en retournent paisiblement chez elles. Elles connaissent leur adresse.

Dans cette façon de laisser les bêtes libres, ou de nourrir et d'abreuver les animaux sans se soucier de savoir à qui ils appartiennent - Anita m'a parlé de sa mère, qui, chaque matin, prépare une gamelle pour tous les chiens de son quartier -, se lit la proximité, l'affection des Indiens pour la nature. On sent, chez eux, une volonté plus forte que chez nous de vivre en communion avec la nature, même au coeur d'une agglomération tentaculaire comme Delhi.

Ceci, d'ailleurs, explique que Delhi soit une ville très verte, contrairement à ce à quoi je m'attendais et en dépit de problèmes d'eau - les coupures d'eau, comme celles d'électricité, sont d'ailleurs fréquentes, et durent parfois plusieurs jours. Certes, il faut voir dans les superbes gazons et jardins anglais un héritage colonial ; mais si les Indiens ont tenu à conserver ces espaces verts après l'indépendance, ce n'est pas tant en raison d'une quelconque nostalgie de l'époque de l'Empire des Indes, que parce qu'ils ont besoin d'être en contact avec la nature. Ainsi, les squares et les jardins, les buissons et les arbres, les fleurs et les pelouses sont partout présents dans le paysage de Delhi, atténuant son aspect étouffant.

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A Delhi, il n'y a pas que des vaches sacrées et des chiens errants, il y a aussi et surtout quatorze millions d'êtres humains, formant une population hétéroclite, qui, pour un étranger fraîchement arrivé du vieux continent, marque surtout par sa jeunesse. Que d'enfants, que d'adolescents, que de jeunes hommes dans les rues de Delhi!

Et les femmes? Elles sont invisibles, pour ainsi dire. J'ai l'impression de n'avoir vu de femmes que sur le campus de JNU, ou dans le quartier branché de Priya. Ailleurs, elles sont discrètes, si discrètes qu'on les remarque à peine, dans leurs saris pourtant colorés. Elles semblent se déplacer comme en un souffle léger, soucieux de ne pas soulever de feuilles mortes, et de ne pas contrecarrer le vent masculin. Et pourtant, elles sont bien là, ces femmes, même si, de fait, elles sont moins nombreuses que les hommes. Elles sont dans l'ombre, mais elles apparaissent derrière les grillages des portes des appartements, telles des gardiennes austères, telles des ménagères sévères parce qu'on est sévère avec elles. Elles travaillent, aussi, comme cette femme installée sur une charrette de bois dans une étroite rue boueuse, un boyau en fait, et à qui j'ai laissé mon linge - il n'y a pas de laveries en Inde, tout se fait à la main et tout se fait faire -, non sans l'impression de lâcher mes vêtements dans l'inconnu, non sans crainte de ne jamais les revoir. (Finalement, je les ai revus trois jours plus tard, à peu près propres et repassés. Le col de ma chemise blanche était jauni.) Oui, les femmes sont bien là, mais on ne les voit pas, ou si peu. A bien des égards, on lit l'Inde comme un livre ouvert, et le statut ambigu et délicat des femmes dans la société indienne se ressent à la moindre promenade dans les rues de Delhi.

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Samedi soir dernier, c'était la soirée d'accueil des nouveaux étudiants étrangers de JNU, organisée par la Foreign Students Association (FSA). Quelque part dans la jungle du campus, dans le local un peu délabré de la FSA, autour de quelques soft drinks et de chips, et par-dessus une musique que l'on aurait pu entendre dans n'importe quelle boîte de nuit parisienne, des étudiants venus du monde entier se sont rencontrés et ont dansé ensemble, dans une atmosphère extrêmement plaisante, chaleureuse et bon-enfant.

JNU compte beaucoup d'étudiants étrangers. Pour l'instant, c'est surtout à eux que j'ai eu affaire, plus qu'aux Indiens eux-mêmes. La FSA, en effet, est une petite communauté à elle toute seule, très conviviale et accueillante. Khaled et Paulus - Paul ou Paully pour les intimes -, les deux principaux responsables de l'association, sont venus vers mes collègues françaises et moi dès que nous avons mis les pieds sur le campus, nous ont un peu aidés dans les démarches administratives que j'ai déjà racontées, et nous ont très vite permis de rencontrer beaucoup de gens, de commencer à nous intégrer et à nous sentir bien à JNU.

Khaled est soudanais. C'est un grand jeune homme, toujours souriant, vous donnant de grandes tapes amicales dans le dos et prêt à vous venir en aide à n'importe quel moment. Paul est nigérian. Il étudie l'allemand à JNU. Dans un sourire, il se définit fièrement comme quelqu'un qui connaît tout le monde, et il faut lui concéder que c'est vrai. Paul a toujours quelque chose à vous proposer, un verre, une soirée, une rencontre, un coup de main. Il y a aussi Massud, l'Iranien trentenaire - qui doit faire de la recherche à JNU - à la voix caverneuse, et au ton un peu désabusé.

A la party de samedi soir, j'ai, donc, rencontré des étudiants d'un peu partout dans le monde. Il y a Christian, l'Allemand avec lequel j'ai très rapidement lié sympathie, et quelques autres Européens, notamment des Polonaises - lundi, j'ai aussi rencontré Axel, suédois, ainsi que Petra et Sandra, autrichiennes. Il y a quelques Américains. Toutefois, la très large majorité des étudiants vient d'Afrique - du Nigeria et du Soudan, donc, mais aussi du Zimbabwe, d'Angola, du Mozambique, d'Ethiopie, etc. - et plus encore de toute l'Asie, depuis le Moyen-Orient - la Palestine, la Syrie, l'Iran, entre autres - jusqu'au Japon, en passant par l'Asie centrale - l'Azerbaïdjan, l'Ouzbékistan, le Turkménistan - et par les pays voisins de l'Inde - le Népal, le Bangladesh, le Bhoutan, la Chine.

Il y a quelque chose de formidablement dépaysant et enrichissant à rencontrer ainsi des étudiants de nationalités dont on trouve fort peu de représentants en France. Il y a quelque chose de fascinant à se demander comment tout ce monde peut se retrouver, par une belle soirée d'été, dans le local un peu glauque de la FSA, à JNU. Et il y a quelque chose de profondément enthousiasmant, quelque chose qui vous fait aimer l'Homme, à voir ces individus issus de cultures aussi diverses danser tous ensemble, chacun prenant son tour pour faire une courte démonstration à la manière de son pays, depuis les rythmes endiablés de Khaled jusqu'à la suave valse polonaise, en passant - hélas? - par mon French cancan volontiers grotesque, seule pitrerie dont j'ai été capable pour faire honneur à mon cher pays.

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Dimanche a été l'occasion pour moi d'une première excursion hors du quartier de Munirka et de JNU, que je n'avais pu quitter, occupé jusqu'alors par les diverses formalités administratives. J'étais content de pouvoir découvrir un autre quartier de Delhi.

Mes collègues françaises et moi avons pris le bus, plus lent mais moins cher et plus pittoresque que le rickshaw, depuis un arrêt dans JNU - où il circule comme partout ailleurs - jusqu'à la grande place ronde qu'est Connaught Place. Les bus indiens sont d'antiques carlingues, assez douteuses, mais agréablement peintes en blanc, bleu, jaune et vert. On y monte comme on peut, souvent alors que le bus roule déjà, on a de la chance si on peut s'y asseoir, on paie son ticket à un agent qui se faufile entre les usagers pour venir vous demander jusqu'où vous allez, et, une fois arrivé, on en descend, ou on essaie. Notre descente, en effet, a été un peu mouvementée : quelques arrêts avant le nôtre, un groupe de femmes qu'en France on aurait qualifiées de gitanes sont montées dans le bus, nous ont vus, et se sont assises autour de nous. Lorsque nous avons voulu descendre du bus, l'une d'entre elles s'est levée pour nous bloquer le passage, et les autres se sont agitées, créant une grande confusion. Une fois que nous avons été sur le trottoir, Marion s'est rendue compte qu'on lui avait dérobé son portefeuilles, et, en regardant le bus s'éloigner, nous avons compris l'objectif de l'agitation créée par le groupe de femmes, avec la complicité passive de l'équipage du bus. Marion n'a été dépouillée que de six cents roupies, nous nous en sommes très bien tirés.

A Connaught Place, nous avons pris le tout nouveau métro de Delhi. Il n'a rien à envier au métro parisien, au contraire : il est climatisé, et il apparaît plus propre, plus moderne.

Nous sommes remontés à la surface à Chandni Chowk, en plein Old Delhi - un quartier populaire et musulman. Nous nous sommes promenés dans Kinari bazar, qui, en fait de bazar, ressemble à un immense taudis, avec son dédale de rues étroites, sombres et sales, avec ses enchevêtrements de câbles électriques sur lesquels se promènent des singes, avec ses bâtiments aux façades délabrées et ses misérables échoppes. En temps normal, le quartier est si animé qu'on ne s'y faufile qu'avec beaucoup de peine, très lentement ; mais nous étions dimanche, la plupart des boutiques étaient fermées, et les ruelles les plus petites étaient calmes, désertes ou servant de terrain de jeu à des enfants de tous âges, toujours aussi souriants, insistant pour vous désigner fièrement leur maison, ne vous demandant rien qu'un peu d'attention, et s'illuminant si vous les photographiez.

Le point névralgique de ce quartier est, sur son petit promontoire, la Jama Masjid, la grande mosquée de Delhi. Nous l'avons visitée, pieds nus, comme il se doit. C'est un magnifique et vaste bâtiment rouge brique, avec des carrelages en marbre dans les espaces de prière, organisé autour d'une grande cour qui donne l'impression d'être un lieu de vie et de discussions, une sorte de forum à la romaine. Depuis le portique qui circule tout autour de la cour, et plus encore depuis les minarets ou les toits qui bordent les coupoles de marbre, s'offre une vue superbe sur Delhi, et notamment sur le Red Fort, qui n'est pas bien loin - mais qui fera l'objet d'une autre excursion, car le soir tombait lorsque nous sommes sortis de la mosquée, et que nous sommes rentrés, sur un rickshaw peu soucieux de la séparation de la chaussée en des voies distinctes, et qui nous a fait quelques frayeurs.

Au contraire de mes camarades, je n'ai pas fait de photos, j'ai d'ailleurs pris très peu de photos depuis mon arrivée à Delhi. En vérité, il y a plein de choses que j'aimerais photographier, mais je préfère attendre que le temps soit moins incertain, et je préfère éviter de me précipiter. Dans les instants de découverte, l'émerveillement rend fébrile, et conduit à "mitrailler" ; puisque je vais rester dix mois à Delhi, j'aurai sans doute l'occasion de retourner plusieurs fois dans Old Delhi, ou ailleurs, et il vaut mieux que je patiente, que je prenne un peu de recul, pour ensuite seulement appuyer sur le déclencheur, et ne photographier que ce qui en vaut le coup, ce que je retiens, ce qui me touche vraiment même une fois dépassé le stade de la première découverte. Voilà pourquoi ce blog est encore très avare en photos.

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Le début de cette semaine a été pour moi assez pénible. J'ai été malade - cela devait arriver - et je me suis lourdement traîné jusqu'à un rickshaw, lundi matin, pour aller consulter le médecin de l'ambassade de France, dans la cage dorée à l'élégance glaciale qu'est cette ambassade, comme beaucoup d'ambassades - c'est à se demander comment on peut représenter quoi que ce soit où que ce soit depuis un palais aussi impersonnel et contrastant aussi totalement avec le dehors. Le médecin, par contre, est excellent - et gratuit -, et m'a prescrit un traitement qui m'a rapidement remis en jambes.

J'ai ensuite essuyé quelque déconvenue dans ma recherche d'appartement, mais je ne m'étends pas sur ces péripéties, qui, en plus d'être désagréables à raconter, seraient dénuées de la moindre espèce d'intérêt, en ce qu'elles n'ont rien de spécifiquement indien. Du reste, j'ai fini, aujourd'hui jeudi, par trouver un appartement, et la fin de semaine s'annonce donc un peu plus sereine.

J'ai écumé beaucoup d'agences immobilières, à Munirka et à Vasant Vihar, avant de dénicher Sharma Estate, à Munirka Vihar Market, et de rencontrer Vikram. Les agences immobilières indiennes consistent la plupart du temps en un bureau exigu et obscur, qu'il faut connaître pour trouver. Ce n'est pas comme en France, où, en se promenant dans un centre ville, on finit toujours par tomber sur une grande vitrine lumineuse présentant dans de soigneux petits cadres des annonces illustrées. Ici, rien n'indique l'agence, si ce n'est un nom en Estate ou en Agency perdu dans la jungle des pancartes propre à chaque marché.

Une fois que vous êtes entré et que vous vous êtes laissé saisir par le violent écart de température infligé par une climatisation forcenée, vous tombez sur un homme bedonnant qui vous fait asseoir et qui vous écoute sans broncher. A force, le discours est rôdé, et répond aux questions de l'agent avant qu'il ne les pose :
'Bonjour, je m'appelle Julien, je suis un étudiant français au centre de sciences sociales de JNU pour un an - c'est un programme d'échange. Je cherche un appartement à proximité du campus, de préférence à Munirka, ou à Vasant Vihar. Toutes les tailles d'appartement m'intéressent, dans la mesure où j'envisage de me trouver un ou plusieurs colocataires à JNU, mais, quoi qu'il en soit, je ne veux pas que le loyer, ou ma part du loyer si l'appartement est suffisamment grand pour permettre une colocation, excède dix mille roupies par mois. Si l'appartement peut être meublé, même de façon rudimentaire - je n'ai besoin ni d'air conditionné, ni de télévision -, c'est bien.'

Lorsque vous avez fini, l'homme vous regarde un moment, comme s'il manquait de motivation, en se frottant le front ou le menton. Il réfléchit, et saisit son téléphone et passe une série de deux ou trois appels, en hindi. Puis, plus rien ne se produit pendant dix à quinze minutes : il attend, vous attendez qu'on le rappelle, assis bêtement dans son bureau sinistre. Cela pourrait aussi bien durer trois heures. C'est en général pendant cette attente que l'agent vous explique comment il travaille. Ils travaillent tous de la même façon :
'Si je vous trouve un appartement qui vous plaît, et que vous signez le bail, vous aurez à payer un mois de loyer d'avance au propriétaire, ainsi qu'un, deux ou trois mois de caution, et qu'un autre mois pour mon service.'
Ce fonctionnement, d'ailleurs, m'a préoccupé, dans la mesure où mon compte bancaire me fixe un plafond de retrait par semaine - ce qui, dans un pays où tout se paie cash, vous oblige à jouer l'équilibriste, lorsque vous avez tous les frais d'installation et d'inscriptions diverses à payer en même temps...

Finalement, l'agent reçoit des appels, et vous emmène, le plus souvent à pied, visiter des appartements. Le propriétaire est parfois là : c'est souvent un vieil homme sévère et suspicieux, visiblement fidèle à toutes les pesanteurs morales de la société indienne. En tant qu'occidental, vous éveillez immédiatement sa méfiance, et l'inquiétez franchement lorsque vous lui parlez de colocataires que vous ne connaissez pas encore. En général, une question survient très vite sur la mixité de la colocation, et sur les rapports affectifs entre les différents colocataires et colocatrices. C'est extrêmement pesant, et vous brûlez d'envie de lui dire que ce ne sont pas ses affaires, mais ce serait vous garantir le refus catégorique du propriétaire, au nom de sa respectabilité. Cependant, si vous mettez le propriétaire en confiance, il devient très vite très pressant, se met à exiger une réponse immédiate, et l'argent le lendemain.

J'ai visité des horreurs, notamment un garage soi-disant reconverti en chambre. En fait de reconversion, le propriétaire avait simplement installé une salle de bains dans laquelle je n'entrais pas debout, et disposé quelques meubles hideux. D'ailleurs, cela sentait comme dans un garage, et pour cause : une voiture trônait encore en plein milieu de la "chambre". J'ai aussi vu de magnifiques appartements, avec des balcons formidables - et de là viennent les déconvenues sur lesquelles j'ai dit que je ne m'étendrais pas, mais dont je tiens néanmoins à préciser qu'elles furent surtout liées à l'absence ou à la rétractation de colocataires.


Et puis, alors que je commençais à me décourager, je suis allé à la Sharma Estate, et j'ai rencontré Vikram. Vikram est un trentenaire bedonnant originaire du Rajasthan, à la coupe de cheveux très carrée, au visage gras et huileux, avec une dent absente au beau milieu de la mâchoire inférieure, et portant toujours une chemise ouverte sur une poitrine touffue. Il n'a jamais quitté l'Inde. Vikram est pressé, et pressant : il m'a expliqué qu'il travaillait dans le présent, dans le concret, il m'a demandé de préciser ma recherche - j'ai finalement renoncé à des colocataires, il est trop complexe de trouver à la fois un appartement et des personnes pour le partager -, et m'a dit qu'il avait besoin que je lui donne, après chaque visite, une réponse catégorique.

Cependant, Vikram, même s'il "fonctionne" comme tous les agents immobiliers indiens, a au moins le mérite d'être efficace : c'est lui qui a trouvé l'appartement de Dhruv, Sonia et Marion - où je loge depuis mon arrivée -, c'est aussi lui qui a trouvé un logement à au moins deux des étudiants de Sciences Po partis à JNU les années précédentes. Cela m'a aidé à lui faire confiance. Du reste, Vikram est sympathique, et vous vous sentez vite comme son ami. Deux jours de suite, hier et aujourd'hui, il m'a emmené, dans sa voiture Tata, visiter de nombreux appartements. Pendant les trajets, ponctués de klaxons et d'incessants appels sur l'un ou l'autre de ses téléphones, nous avons beaucoup discuté, de l'Inde, de la France, de tout et de n'importe quoi. Il m'a appris un certain nombre de choses sur l'hindouisme. Il semble assez dévôt, et ne passe jamais devant un temple dédié à Hanuman, Vishnu ou Krishna sans ralentir, esquisser un geste respectueux, et prononcer un "Yo!" qui doit valoir un "Amen". Nous avons ri, aussi. En passant devant le Mac Donald's de Priya, le premier jour, alors que le soleil se couchait, Vikram m'a regardé avec un sourire d'enfant, et, en me désignant ce qu'il a qualifié d'ambassade américaine, m'a dit que son travail était aléatoire, qu'il ne savait jamais quand des clients allaient venir le voir, et que, de ce fait, il n'avait pas encore déjeuné. Et, me tendant un billet de cinq cents roupies, il m'a demandé d'aller lui chercher un Mac Do et d'en profiter pour prendre quelque chose pour moi. Ainsi, j'ai mangé mon premier Mac Do indien, et goûté le Chicken Maharaja, sorte de Big Mac au poulet avec une sauce un peu relevée, dans le bureau climatisé de Vikram, en parlant de football, et, bien sûr, de Zidane. Le lendemain, aujourd'hui, cela a été mon tour de lui offrir le Mac Do, devant lequel nous sommes mystérieusement repassés, et demain, ce sera de nouveau à lui, pour fêter notre réussite commune.

Car, en effet, nous avons fini par me trouver un appartement, à Munirka DDA Flat, à trois rues de celui de Dhruv, Sonia et Marion. Il y a deux pièces, la première avec une cuisine dans un coin, la seconde donnant accès à un petit balcon, et une salle de bains. C'est assez lumineux - le carrelage blanc y est pour beaucoup - et assez propre. Je pense que je m'y plairai bien, lorsque je m'y serai installé. Je récupère l'appartement ce week-end, et je n'aurai plus qu'à le meubler. Le loyer mensuel est de huit mille roupies, plus les charges, ce qui équivaut à environ cent soixante euros. J'espère que je n'aurai pas de mauvaise surprise.

Quoi qu'il en soit, je vais donc enfin avoir un chez-moi indien. Et, d'ailleurs, après deux semaines passées à Delhi, je commence à bien connaître Munirka, JNU, Vasant Vihar et Priya, je commence à avoir mes habitudes chez tels commerçants, ou dans tel cybercafé perché sur une colline boueuse et sale surmontée de constructions de fortune, je commence à avoir mes repères, je commence à réaliser que je vais vivre ici pendant dix mois ; bref, je commence à me sentir un peu chez moi en Inde.

1 Comments:

Anonymous Anonyme said...

Cher Julien, bravo.
La lecture intégrale du texte paru le 3 août m'a beaucoup intéressé, et je te félicite pour la qualité de ta prose.
Je suis heureux de savoir que tu es dans un logement acceptable, selon nos critères de jugement.
Quant à l'assemblée estudiantine dont tu détaillais la composition, je serais enclin d'ajouter que cela est également émouvant de voir toutes ces nationalités réunies dans un même lieu pour un même but. Vous pourriez vous nommer "les Alliés"...
Bien, mais tu es en Inde pour travailler, et j'attends quelques précisions dans ce domaine !
Néanmoins, bon courage et attention à l'eau (un parmi la multitude de dangers dont l'ingestion d'un gros mac n'est pas le moindre!).
On pense bien à toi.

11 août, 2006 12:27  

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