27.8.06

Dimanche 27 août, 19h

Les cours ont désormais adopté leur rythme de croisière, à JNU. Après avoir erré de classe en classe pendant deux semaines, j'ai fini par trouver quatre cours intéressants et enseignés par des professeurs compréhensibles :

- International Relations Theory. A Sciences Po, j'ai souvent eu des cours de relations internationales, mais ils sont presque toujours restés exclusivement factuels. Ce qui m'attire dans ce cours, c'est d'étudier non plus les faits, mais les analyses qui en sont faites par les différents courants de pensée, comme les réalistes (Waltz et consorts) sur lesquels nous travaillons en ce moment. Le professeur, imposant par sa carrure et par sa barbe noire, parle un anglais très clair, ce qui ne gâche rien.

- Indian Political System. Bien qu'il semble un peu fourre-tout, et bien qu'il soit professé par un marxiste assez vindicatif qui semble tout droit sorti des années 1960 ou 1970, ce cours devrait me permettre de comprendre comment fonctionne la politique indienne, en étudiant en particulier la plus longue Constitution du monde.

- Modern Indian Social Thought. Je crois que c'est celui de mes quatre cours qui m'intéresse le plus. Après avoir commencé par étudier les racines de la philosophie indienne - à travers la lecture d'extraits des Vedas, les textes sacrés de l'hindouisme -, nous allons nous pencher sur les grands penseurs de la société indienne au cours des XIXème et XXème siècles, de Swami Vivekanand à Amartya Sen, en passant par Roy, Gandhi et Nehru. J'espère ainsi arriver à me faire une idée des grandes structures et des grandes évolutions de la très complexe société indienne, et notamment du système des castes, du statut des femmes, de l'éducation, etc. Le professeur est passionné, et passionnant : c'est un homme assez âgé, grisonnant, au visage très sec ponctué d'une moustache qui lui donne un air sévère ; mais il faut le voir s'illuminer lorsqu'il parle de la conception hindoue de l'amour, de la théorie hindoue de l'action, ou de l'engagement absolu de Vivekanand pour le réveil de l'Inde colonisée. Ses mains s'agitent dans tous les sens, et il est inarrêtable, il s'envole dans des phrases interminables et brillantes - pas toujours faciles à suivre, mais captivantes.

- Globalizing India. A l'instar de Modern Indian Social Thought et au contraire des deux autres enseignements, ce cours présente l'intérêt de se dérouler non pas dans un amphithéâtre, mais dans une classe d'une trentaine d'élèves. Il est donc plus interactif, et permet aux étudiants de mieux se connaître les uns les autres. Ainsi, c'est dans ce cours que j'ai pour la première fois vraiment discuté et commencé à sympathiser avec des étudiants indiens, ce que je n'avais pas encore eu l'occasion de faire jusqu'alors. Le professeur est sympathique, et le cours en lui-même est intéressant : il traite de la façon dont la globalisation affecte l'Inde et dont l'Inde s'inscrit à son tour dans la globalisation, d'un point de vue exclusivement culturel. Nous allons ainsi travailler sur des films et des oeuvres littéraires, ce qui me fournira l'occasion de découvrir un peu la culture indienne moderne.

Quatre cours, chacun de trois ou quatre heures réparties sur la semaine, ce n'est certes pas énorme. Néanmoins, je découvre que l'année sera moins tranquille que je l'avais pensé. Cela est dû au changement de statut des étudiants de Sciences Po à JNU, dont j'ai déjà parlé et que nous sommes la première génération à expérimenter : contrairement aux années précédentes, mes camarades et moi aurons une certaine obligation d'assiduité - du moins ne pourrons-nous pas nous permettre de n'assister à quasiment aucun cours, comme l'a fait un étudiant il y a quelques années -, nous devrons rendre des travaux et passer les examens. En outre, la participation à ces cours implique que nous lisions beaucoup : comme aux Etats-Unis, et contrairement à ce que l'on trouve en France - en tout cas à Sciences Po -, les cours à JNU consistent essentiellement en le commentaire par le professeur de textes que les étudiants ont préparés chez eux. Ainsi, pour chaque matière, je dispose d'un recueil de textes assez conséquent. De plus je dois faire des lectures supplémentaires, pour combler les lacunes que j'ai évidemment par rapport aux étudiants indiens ; ces lacunes sont particulièrement perceptibles dans le cours sur la pensée sociale indienne, où le professeur fait souvent référence à des concepts, des textes ou des auteurs que les Indiens connaissent parfaitement, mais qui me sont totalement étrangers. J'ai donc acheté et commencé à lire quelques livres pour essayer de me mettre un tant soit peu au niveau.

Ainsi, mon année à JNU sera sans aucun doute plus studieuse que je ne l'avais pensé, et l'obligation d'assiduité m'empêchera de voyager à travers l'Inde autant que je l'aurais voulu. Cependant, mon année n'en sera pas forcément moins enrichissante pour autant : ces cours sont très intéressants, j'apprends énormément de choses sur l'Inde - il faut dire que j'ai une belle marge de progrès -, et c'est une autre façon de découvrir ce pays extraordinaire que de se rendre au Taj Mahal.

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Le Taj Mahal, justement, j'y suis allé, le week-end dernier, toujours avec Loïc et Grégoire - deux autres amis, Xavier et Xavier, nous ont rejoints cette semaine.

Le Taj Mahal, c'est à Agra, à deux cents kilomètres de Delhi. Nous avons pris le bus samedi matin et sommes arrivés en début d'après-midi. Ce qui nous a surpris, et ce qui m'a déplu, c'est l'absence de véritable ville, à Agra - sauf autour de la Jama Masjid (grande mosquée). Contrairement à Jaipur, dont j'avais tant aimé les rues commerçantes et animées, Agra semble ne vivre que par ses monuments. Sans doute y a-t-il des quartiers plus vivants, ceux où les Indiens résident, mais ils doivent être à l'écart, car nous ne les avons pas trouvés. En somme, tandis qu'à Jaipur le touriste est incité à se mêler à la vie de la ville, il en est comme écarté à Agra. Les hôtels eux-mêmes se situent dans des sortes de zones presque rurales.

Nous avons visité le Red Fort, très beau palais de pierre rouge et de marbre, un peu dans le même style d'architecture que la tombe d'Humayun et que beaucoup de monuments indiens, qui surplombe la Yamuna - fleuve qui traverse également Delhi. Nous avons aussi visité la Jama Masjid et un mausolé dans un jardin peuplé de singes, mais je ne m'attarde pas dessus. Du mausolée, je retiendrai d'ailleurs surtout l'image traumatisante de l'enfant qui a longuement insisté pour que je lui donne dix roupies, à l'entrée du monument : sa peau était hideuse, toute striée, et son visage était difforme. Je ne sais pas ce qui lui était arrivé, peut-être avait-il été entièrement brûlé. Toujours est-il que voir cet enfant a été quelque chose de très difficile à supporter, et que j'ai eu un peu de mal à apprécier le monument après. L'image de cet enfant est de celles qu'on n'oublie jamais.

Et puis, nous avons fait le Taj Mahal, bien sûr. Tout est dans le "bien sûr". Le Taj Mahal est à l'Inde ce que la Tour Eiffel peut être à Paris. Par conséquent, c'est sans aucun doute le lieu le plus touristique de toute l'Inde. Et cela, en soi, est déjà assez déplaisant, surtout lorsque cela se traduit par des hordes de touristes qui vous donnent l'impression d'être n'importe où, mais certainement pas dans l'Inde "authentique", et par un prix d'entrée aussi élevé : nous avons payé 750 roupies chacun, soit autant que le total de ce que nous avons payé pour le trajet aller-retour entre Delhi et Agra, pour la nuit d'hôtel et pour les restaurants pendant tout le week-end. Et puis, je dois bien le dire, au risque de passer pour snob, je n'ai pas trouvé beau le Taj Mahal. C'est impressionnant, évidemment, cette immense tombe d'une implacable symétrie, toute blanche de marbre, terriblement éblouissante sous le soleil ; cela a de la classe, bien sûr, ces motifs floraux et ces inscirptions coraniques, ces beaux jardins et ces bassins aux jets en forme de lotus ; mais je n'ai pas trouvé cela beau, et j'ai préféré, par exemple, la tombe d'Humayun, plus sobre, et avec moins de marbre. Bref, le Taj Mahal est de ces monuments qu'on ne peut pas ne pas voir lorsqu'on vient en Inde, et qui, pourtant, ne vous procurent aucune émotion particulière. Au fond, il y a suffisamment de merveilles en Inde pour se contenter de ne voir du Taj Mahal qu'une carte postale, qu'il est de toute façon.

*

Il y a quelque chose d'essentiel, et dont je n'ai encore, je crois, jamais parlé depuis que je suis en Inde : la nourriture.

L'Inde a la réputation d'avoir une gastronomie très épicée. La vérité est à la hauteur de la réputation ; cependant, en réalité, ce qui est gênant, ce n'est pas tant la force des épices, que leur omniprésence. Je n'ai encore jamais vu de plat épicé au point d'en être immangeable - il est vrai que je m'arrange pour demander des mets "not too spicy" -, j'ai par contre ressenti plusieurs fois une profonde lassitude de subir les épices à chaque repas. D'autant que les aliments eux-mêmes, du moins ceux qui m'inspirent confiance, sont relativement peu variés. Globalement, depuis six semaines, je mange du riz, des lentilles, des oeufs, du poulet et du mouton, des pâtes, quelques légumes épluchables (carottes et pommes de terre) lorsque je cuisine chez moi, et des bananes - la saison des mangues, s'est, hélas, achevée! Mon alimentation est donc un peu répétitive, bien que je fasse en sorte d'échapper autant que possible à la cuisine strictement végétarienne - les Indiens étant très peu consommateurs de viandes. A cet égard, je dois dire que j'ai quelques regrets pour la France... Je tente parfois d'y remédier en allant dans des restaurants un peu occidentalisés - en vérité des chaînes du genre Pizza Hut -, ou en m'échappant vers la cuisine chinoise, bien implantée en Inde, mais ce n'est pas tellement meilleur, et c'est beaucoup plus cher. Les restaurants soi-disants italiens ou français sont à éviter, je crois qu'il n'y a pas mieux pour vous faire regretter l'Europe que, par exemple, d'infectes lasagnes au mouton.

Je mange dans quatre types d'endroits :

- chez moi, où je cuisine donc des légumes simples, des pâtes, du riz, des lentilles, des oeufs, et où je mange aussi des fruits, des yaourts achetés dans une laiterie fiable, et quelques produits un peu occidentaux, comme du pain de mie, du fromage à tartiner, du - mauvais - chocolat, etc.

- sur le campus, où les prix défient toute concurrence, et où l'on trouve quelques plats décents, notamment du poulet au curry, du riz dans diverses sauces, des omelettes, ou encore une sorte de pain perdu qu'ils appellent French toast et dont je fais souvent une collation, avec un milkshake, un lassi (lait fermenté qui se boit), un shaï (le délicieux thé au lait à l'indienne), un jus de fruit ou une eau citronnée. Il est rare que je dépense plus de cinquante roupies, soit moins d'un euro, pour mon déjeuner.

- dans des petits restaurants ne payant vraiment pas de mine, extrêmement bon marché eux aussi, et où seul le riz, en général, m'inspire confiance.

- dans des restaurants un peu supérieurs et un peu plus chers (autour de 100 à 150 roupies le repas), où j'essaie plus de plats, et où je découvre, peu à peu, les incontournables de la cuisine indienne, comme les thali - assortiment de sauces diverses dans lesquelles on trempe son riz ou des galettes de pain -, les uttappam - des sortes de grosses crêpes aux légumes et à la noix de coco, assez indigestes -, les ravi plain dosa - immenses crêpes, dures et fines cette fois, faites de pomme de terre, et que l'on trempe dans des sauces -, et tout ce qui relève du poulet tandoori, du poulet ou du mouton au curry, etc.

Je dois le dire, je prends peu de plaisir à table. Quand bien même ça n'est qu'affaire de goûts et d'habitudes, il me paraît sensible que l'Inde est un pays où l'alimentation a un objectif de survie avant d'avoir un objectif de plaisir, comme cela est davantage le cas dans nos pays. Néanmoins, je suis reconnaissant à l'Inde de n'avoir pas conservé de trace de la présence anglaise dans sa gastronomie...

4 Comments:

Anonymous Anonyme said...

Salut Woody, c'est Mooseman en direct de Berlin. Je viens de decouvrir ton Blog tres bien ecrit mais je doute qu'un arriere-plan noir mette suffisamment en valeur tes chroniques. En tout cas, tu vis une experience exceptionnelle et je tacherai de te suivre dans tes aventures (sur ton blog seulement hein, on ne va pas jouer a "Big Mooseman is watching you"); Peut-etre succomberais-je a la blogomanie des etudiants de 3A et dans ce cas je creerais le mien. Affaire a suivre....

Viel Spaß in Indien!
Mooseman

28 août, 2006 17:27  
Blogger Julien said...

Salut Max',

Merci pour ton commentaire! Sache que j'ai rencontré un étudiant de la Freie , très sympa, dans mon université indienne! (J'espère que c'est bien à la Freie Universität que tu pars, j'ai un petit doute tout d'un coup!)

C'est amusant, Stéphane aussi m'a suggéré que le fond noir n'était pas terrible, c'est une manie de germanophiles ou quoi? Que mettrais-tu à la place? J'avais choisi le noir parce que c'est sobre, je ne trouve pas que ça nuise à la lecture, et c'est le mieux pour les photos.

Bonne installation à Berlin et au plaisir d'avoir de tes nouvelles, par blog ou autrement!

Julien

28 août, 2006 18:23  
Anonymous Anonyme said...

Coucou mon grand frère chéri sa va ???Moi oui!!!Aujourd'hui j'étais ché juliette donc c pr sa ke je t pa répondu j'étais bien dégouter mai bon...lol
Moi je trouve sa bien le fon noir sa fé bien péter lé foto!

28 août, 2006 19:32  
Anonymous Anonyme said...

Bonjour,
On rentre de vacances et je viens de parcourir ce que j'ai manqué. Point n'est besoin de partir humer les misères du monde pour bien sentir que nous ne sommes pas tant que cela à plaindre. Nos ports sont saturés de voiliers, jamais la proportion de Français partant en vacances n'a été aussi élevée (indicateur de bonne santé essentiel aujourd'hui...). Mais bon, c'est important de prendre la pose en déclamant sur les méfaits sociaux de la "mondialisation", cela aide beaucoup à se déculpabiliser.
Curieuse cette intrusion du CPE sur ce blog. Tu remarqueras, cher Julien, que ceux qui manifestaient contre le CPE étaient les mêmes qui applaudissaient 9 ans plus tôt les emplois jeunes, instrument d'insertion assez similaire, à cette différence près que les emplois jeunes étaient destinés au secteur public. Quand on sait qu'un institut de sondages a établi qu'une écrasante majorité des étudiants aspirait à la fonction publique, il n'est pas étonnant de constater qu'ils voulaient bien être sous-payés pendant 5 ans... à la condition de devenir fonctionnaire in fine.
L'Etat, les collectivités locales, et certaines associations, ont bien profité du système, au détriment bien souvent des intérêts du diplômé. L'exploitation était institutionnelle. Mais comme les titularisations étaient promises au bout du contrat...
Bref, l'extraordinaire argumentation anti-CPE se trouve disqualifiée d'elle-même.
Et il est parfois (souvent ?) indispensable de gouverner contre le peuple, les majorités n'ayant pas toujours raison, comme chacun devrait le savoir.

Je partage ton sentiment sur le Taj-mahal, en soulignant seulement qu'être snob aurait été que tu le trouves beau.

A ton retour à Paris, tu devrais suivre les cours de Dario Battistella (je n'ai pas le temps de vérifier mais il me semble qu'il officie toujours à SPP). En tout cas, les cours que tu vas suivre font envie.

Bonne continuation.

08 septembre, 2006 11:04  

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