19.3.07

Holi, une journée à voir la vie en rose

Le 4 mars avait lieu Holi, une fête religieuse hindoue très importante, qui célèbre le printemps et les couleurs, même s'il y a également un arrière-plan mythologique. Les Indiens célèbrent Holi en se lançant des poudres de couleurs les uns sur les autres et en buvant des bang lhassis. Le lhassi est une boisson traditionnelle indienne, à base de lait fermenté, qui est très agréable pour apaiser les bouches enflammées par les épices. Le bang lhassi, qui ne se trouve qu'à l'occasion de Holi, est un lhassi à la marijuana... Cela donne une première idée du caractère pour le moins surprenant de cette fête : la consommation de drogue est interdite en Inde, mais, le jour de Holi, on trouve des bang lhassis absolument partout. Les cantines des universités elles-mêmes en vendent.

JNU a la réputation d'être le meilleur endroit à Delhi pour assister aux célébrations de Holi. C'est donc tout naturellement sur le campus que je me suis rendu pour participer à ce qui s'est très vite imposé comme une des choses les plus folles qu'il m'ait été donné de voir. Imaginez : sur une sorte de terrain vague entre deux hostels, des centaines d'étudiants dansent sur des rythmes endiablés joués sur des caisses vides, et se lancent des poudres de couleurs, rouges, roses, jaunes, bleues et vertes, dans une extraordinaire hystérie collective - encouragée par la consommation par certains de bang lhassis. Après quelques secondes de plongée dans cette foule, votre chemise est arrachée sans pitié, afin qu'on puisse mieux vous peinturlurer, et vous êtes multicolore des pieds à la tête, jusqu'au fin fond de vos narines et de vos oreilles. C'est une vision surréaliste. Tout le monde est hilare. Personne n'oppose de résistance, ou alors seulement pour jouer. Même entre inconnus, on s'aborde, on se salue, on se saupoudre de couleurs, et puis on se souhaite "happy holi" en riant, dans une sorte de communion universelle, abolissant toutes les distinctions d'âge, de sexe, d'ethnie, de caste, et même de religion - car si Holi est une fête hindoue, elle est plus ou moins célébrée par tous les Indiens.

Holi est un moment de folie collective dont l'intensité semble vouloir faire oublier pour une journée les problèmes de la vie quotidienne. Holi est un anesthésiant, une thérapie de groupe, un arc en ciel dans un ciel noir, un feu d'artifice dans une nuit sombre. Holi est une des expériences les plus indiennes et les plus extrêmes que l'on puisse faire en Inde, une de ces expériences qui vous font aimer l'Inde, pour ce qu'elle a d'unique au monde, pour son peuple, capable d'être si chaleureux, si généreux, et si doué pour l'auto-dérision, pour cette euphorie un peu folle qui anime périodiquement plus d'un milliard d'individus à l'unisson.

Ces moments-là sont toujours trop courts. Holi, cependant, laisse des traces : pour quelques jours encore, on peut observer des tâches dans les rues, et les cheveux de certains ont d'étranges couleurs. Même le chiot d'une cantine de JNU, jadis blanc comme neige, est resté un peu rose, depuis.




Voilà ce à quoi on peut ressembler après Holi


Merveilles du Rajasthan

Les dernières semaines ont été très occupées par diverses occupations des plus sérieuses au plus frivoles - raison de mon long silence sur ce blog. Il est temps de procéder à une petite mise-à-jour.

Il y a trois semaines, mes chers parents et ma chère soeurette sont arrivés en Inde (je suis obligé de dire "chers", ils lisent le blog, vous comprenez... :-P ). Le premier jour, je leur ai fait visiter Old Delhi (Chandni Chowk, la Jama Masjid, le Red Fort), ce qui fut une rude entrée en matière - car Old Delhi est assurément un des endroits les plus pauvres, les plus sales, les plus densément peuplés et les plus animés de la capitale. Au moins furent-ils parés pour le reste de nos aventures.

Nous avons ensuite voyagé tous ensemble à travers le Rajasthan, pendant une semaine. Nous avions loué une voiture avec chauffeur, ce qui en Inde est la solution la plus pratique pour ce genre de voyages. Le chauffeur s'impose, car la conduite indienne est vraiment particulière... En principe, les Indiens conduisent à gauche, comme les Anglais. En fait, ils conduisent un peu partout, ils dépassent des camions sur des petites routes, dans les virages ou les montées, ils enchaînent les queues de poisson, avec une grande habilité certes, mais sans la moindre prudence. Avoir un chauffeur permet donc de fermer les yeux et de penser à autre chose dans ces moments-là.

L'autre intérêt qu'il y a à avoir un chauffeur est que celui-ci peut vous emmener dans des endroits qui ne sont pas forcément répertoriés dans les guides de voyage, mais aussi vous conseiller des hôtels ou des restaurants. Dans la mesure où cela lui permet de toucher une commission des hôteliers, il n'est jamais avare en "very good address". C'est d'ailleurs parfois un peu envahissant, et il faut également savoir imposer ses choix.

Et puis, avoir un chauffeur, c'est avant tout faire une rencontre. Les longs trajets permettent de discuter et d'en apprendre un peu plus sur les Indiens eux-mêmes, sur le regard qu'ils portent sur leur pays, sur votre pays, sur le monde, ou sur tout autre sujet. Les touristes qui voyagent en groupes avec des guides occidentaux, par exemple, vont de site en site sans jamais vraiment avoir la chance de faire la connaissance des Indiens - sauf des commerçants, qui ne sont pas forcément les Indiens les plus attachants bien qu'ils soient très collants. Notre chauffeur, Sunil, était intéressant en ce qu'il était à mon avis aussi indien qu'on peut l'être, aussi bien dans son apparence physique (la moustache impeccablement taillée, les cheveux très noirs gominés, une certaine corpulence, la dentition dans un état effrayant, etc.) que dans sa façon d'être, de penser et de se comporter. Bien sûr, l'âme indienne est aussi vaste et diverse que le territoire sur lequel elle s'étend, et toute tentative de la définir est périlleuse, mais, quand on voyage dans diverses régions du pays, on s'aperçoit qu'il y a néanmoins quelques caractéristiques communes à la majorité des Indiens, et ces caractéristiques, Sunil les avait toutes. Il était à la fois calme et impatient, doux et insistant, triste et souriant, susceptible et fier de lui, il était porté sur la spiritualité autant que sur l'argent, et il était capable d'écouter pendant des heures une musique qui nous semblait répéter sempiternellement une même mélodie de trente secondes.

C'est donc sur fond de musique tantôt traditionnelle et sacrée, tantôt moderne et profane (la fameuse hindipop), que nous avons parcouru les routes superbes - mais pas toujours en excellent état - du Rajasthan. A lui seul, le Rajasthan est grand comme l'Allemagne et peuplé comme la France. Cela donne une idée de combien il est difficile de tout voir en une semaine, surtout quand l'état des routes est tel qu'on dépasse rarement les 50 km/h. Nous avons donc dû faire des choix, et nous concentrer sur certaines étapes.

Nous avons commencé par Jaipur, où j'étais déjà allé cet été et dont j'ai déjà parlé sur ce blog. Je ne m'étends donc pas davantage sur cette ville magnifique, que j'ai d'ailleurs eu plaisir à revoir.

La seconde étape fut Pushkar, une toute petite ville complètement perdue dans une sorte de désert assez montagneux - ces montagnes-là sont les plus vieilles du monde. Pushkar est une ville sacrée dédiée à Brahma, et construite autour d'un petit lac vers lequel plongent une succession de ghats, ces escaliers par lesquels les pèlerins descendent vers l'eau afin de s'y purifier, en s'y baignant et même en la buvant... Ce lac est à peu près tout ce qu'il y a à voir à Pushkar. Bien entendu, dès que vous arrivez sur le bord du lac, un Brahmane vous aide à vous purifier - mais l'attraction est adaptée pour les touristes occidentaux, peu enthousiastes à l'idée d'entrer en contact avec l'eau purificatrice. Vous avez donc le droit à quelques prières pour votre avenir et celui de votre famille (par exemple avoir un bon travail, ou trouver une bonne femme - "une femme qui ne se la ramène pas trop" est sans doute ce qui est signifié par "a good wife"), et à une belle leçon de morale, mettant l'accent sur l'importance de la spiritualité : "money is not everything." La cérémonie se termine par la remise d'un bracelet en ficelle au bienheureux pèlerin contre le don de quelques euros au spirituel Brahmane - le seul fait qu'il accepte les euros en dit déjà long sur l'authenticité de son activité spirituelle et purificatrice. Bientôt les cartes de crédit aussi acceptées? "But you know, my friend, money is not everything."

Pushkar est d'autre part célèbre pour sa foire aux dromadaires (bien que tout le monde dise "foire aux chameaux", ce sont des dromadaires, avec d... une bosse!), qui a lieu chaque mois d'octobre. Enfin, Pushkar est un lieu de villégiature privilégié pour babacools attardés, ce qui achève de donner à la prétendue authenticité de la ville sacrée un air complètement ridicule et artificiel. On n'est donc pas obligé de faire étape à Pushkar lorsqu'on n'a qu'une semaine pour visiter le Rajasthan.

Jodhpur, par contre, vaut assurément qu'on s'y arrête. Le fort, imposant sur son roc, est tout simplement superbe, aussi bien de l'extérieur que de l'intérieur, avec ses salles richement décorées. On y a de plus une vue magnifique sur la vieille ville, avec ses maisons bleues. En outre, ceux qui ont aimé la purification dans le lac de Pushkar aimeront sans doute également se faire lire l'avenir dans les lignes de la main - un "professionnel" les attend quelque part dans le fort. "Je vois que vous allez perdre quatre cents roupies."

Jaisalmer fut la quatrième étape de notre voyage. Se dressant comme un mirage au milieu du désert Thar, Jaisalmer est l'une des dernières villes du Rajasthan avant la frontière indo-pakistanaise. Y aller implique donc un long détour, permettant de prendre la mesure du Rajasthan, mais la route qui relie Jodhpur à Jaisalmer est très belle : on y sent le désert hésiter. Les dunes de sable succèdent en effet à une sorte de savane, en passant par des étendues de caillasse, ponctuée ça et là de plantes grasses et de quelques arbres ou arbustes. Les dromadaires, les antilopes, les rapaces ou d'autres oiseaux animent ces paysages arides. Encore la sècheresse n'est-elle pas trop prononcée en février ; c'est d'ailleurs la saison idéale pour visiter le Rajasthan, les températures sont très supportables et le temps est superbe.

La pierre de Jaisalmer semble dorée. Elle évoque irrésistiblement les sables du désert si proche. Le fort, d'ailleurs, donne l'impression de s'enfoncer inexorablement dans des sables mouvants. Ses remparts aux formes arrondies ont parfois presque entièrement disparu dans l'éboulis qui leur servit de promontoire, mais qui, fatigué peut-être de devoir soutenir une construction si imposante, semble désormais vouloir les engloutir peu à peu. C'est un fait, d'ailleurs que le fort de Jaisalmer est menacé. Pourtant, rien ne le laisse paraître une fois qu'on est à l'intérieur des remparts. Sans se douter de la lente tragédie qui se déroule, on peut admirer les portes sublimes du fort, les belles demeures, encore habitées, ou les temples jaïns, dans toute la complexité de leur architecture, où le moindre centimètre carré de pierre est travaillé avec une précision d'orfèvre. S'il est impressionnant, le résultat de ce travail n'est d'ailleurs pas beau, à mon goût du moins. Il lui manque la grace de la sobriété, il est surchargé par tant de volutes et de détails.

L'architecture des havelis est bien plus belle, quand bien même leur sobriété n'est que très relative : ce ne sont pas des églises romanes. C'est même tout le contraire. Les havelis, qui datent généralement des XVIIIème et XIXème siècles, sont des maisons de commerçants ayant fait fortune dans l'opium, les bijoux, les soieries, etc. En fait de maisons, ce sont de vrais palais, aux dimensions réduites, mais à la richesse évidente. Les visiter permet de s'imaginer l'existence opulente de leurs anciens habitants, qui profitaient des plaisirs de la vie tandis que les caravanes transportant leurs produits arpentaient le désert. Il règne dans ces havelis, et d'ailleurs au Rajasthan en général, un parfum moyen-oriental qui rappelle les très fortes influences perses et mogholes dans la région. L'architecture, les arts et l'artisanat du Rajasthan permettent de se rendre compte de ce que l'Inde fut à la croisée de nombreux chemins, comme sa diversité religieuse l'illustre également. La rencontre de différentes cultures, qui définit l'Inde et la rend si fascinante, est, autant que je puisse en juger, sensible au Rajasthan plus que partout ailleurs - exception faite des trois grandes métropoles cosmopolites que sont Mumbai, Kolkata et Delhi, et qui sont comme trois aimants à cultures.

Nous avons consacré une après-midi à l'incontournable promenade à dos de dromadaire, à partir d'un village à une cinquantaine de kilomètres de Jaisalmer. Au même titre que la purification à Pushkar, c'est l'attraction pour touristes par excellence, mais, cette fois, il serait dommage de s'y soustraire. Installé sur l'inconfortable monture, survolé par les vautours, on se prend facilement pour Laurence d'Arabie en avançant dans ces paysages extraordinaires, faits tantôt de sable, tantôt de pierre, et en contemplant les dunes embrasées par le soleil couchant. çà et là, on trouve un village, et l'on y rencontre des enfants par dizaines, qui vivent dans des huttes en terre séchée. On pourrait se croire dans un autre monde. Ce serait oublier que ce monde-là reste la réalité dominante de l'Inde, puisque le pays est encore très majoritairement rural. En ne voyant de l'Inde que ses villes, on se fait facilement une idée fausse du pays, et de son avenir. L'avenir de l'Inde se confond dans une très large mesure avec l'avenir des dizaines d'enfants qui peuplent le moindre village, qui ont un accès limité à l'éducation, et qui se préparent à vivre de la même façon que leurs parents et que leurs grands-parents - à quelques innovations près, comme la télévision -, en cultivant la terre, en gardant les troupeaux, et en élevant les dromadaires. Ce qui déterminera le développement futur de l'Inde, c'est l'importance accordée aux zones rurales et les efforts faits pour y améliorer les conditions de vie et les opportunités sociales et économiques, bien plus que les mouvements de capitaux à la bourse de Bombay ou que l'installation de nouveaux call-centres à Bangalore. Malgré toutes les transformations qui ont lieu depuis une décennie dans les grandes villes indiennes, l'Inde ne changera vraiment que lorsque les campagnes aussi changeront.

Nos deux dernières étapes, sur la route du retour vers Delhi, furent Bikaner et Mandawa. Comme beaucoup de villes du Rajasthan, Bikaner vaut surtout le détour pour son fort, immense et labyrinthique, gardant les traces de la richesse et du raffinement des temps passés. Nous avons également visité l'atelier d'un artiste au talent extraordinaire, qui peint des miniatures traditionnelles avec une finesse et une précision stupéfiantes. Avec ses pinceaux faits de quelques poils d'écureuil - parfois même d'un seul poil! - il peint avec une minutie infinie des arbres dans toute la précision de leur feuillage, des animaux dans toute la précision de leur pelage, des oiseaux dans toute la précision de leur plumage. Le terme de miniature prend tout son sens lorsqu'on sait que cet artiste figure dans le livre des records pour avoir réalisé le plus petit tableau du monde.

Quant à Mandawa, c'est une petite ville dont le seul intérêt réside dans ses très nombreux havelis. Leur état fait peine à voir. Les bâtiments sont délabrés, parfois presque en ruines ; les murs s'effritent et les peintures s'effacent. Ici, la splendeur n'est plus qu'un souvenir.

Le Rajasthan est un Etat extraordinairement riche, avec ses forts imposants, où les arts et les artisanats semblent avoir culminé, avec ses villes colorées, leurs marchés sublimes et leurs havelis. Le patrimoine est exceptionnel, mais il est insuffisamment mis en valeur, et, sauf dans les villes les plus touristiques, il disparaît progressivement. Mandawa illustre bien ce phénomène : c'est une ville tout-à-fait secondaire, souvent oubliée des trajets touristiques, et qui recèle pourtant d'incroyables trésors, laissés à l'abandon. C'est un triste constat, mais un constat qui vaut pour tout le Rajasthan, que j'ai déjà fait à propos de Kolkata, et que l'on pourrait élargir à toute l'Inde. Sans doute faudrait-il que le gouvernement indien fasse des efforts, y-compris financiers, pour entrer dans un cercle vertueux dans lequel la mise en valeur du patrimoine et l'amélioration des infrastructures touristiques attireraient davantage de visiteurs, générant davantage de profits, permettant une meilleure restauration des monuments, à son tour susceptible de faire croître les recettes du tourisme. Il n'y a aucun doute que l'Inde a le potentiel pour faire du tourisme une de ses principales sources de revenus, dont l'économie toute entière pourrait bénéficier. Tout ceci est bien sûr plus facile à dire qu'à faire, mais, quand bien même le nombre de touristes visitant l'Inde augmente significativement chaque année, il semble que le gouvernement ne s'investisse pas autant qu'il le pourrait dans cette entreprise fondamentale.

10.3.07

Photos de Kolkata IV - La ville coloniale







Le Victoria Memorial


Le Marble Palace

Photos de Kolkata III - La ville, le peuple

Comme un parfum d'indécence...


Barbier de rue comme il en existe partout en Inde.


Tramway, auto-rickshaw, pulling-rickshaw, taxi : les moyens de locomotion à Kolkata.


Les vertes pelouses du Maidan... Avec le Victoria Memorial au fond.


New Market, un marché populaire sur lequel on trouve de tout. Le département "boucherie" est particulièrement impressionnant : âmes sensibles s'abstenir.


Comme un clin d'oeil sarcastique de l'Histoire, Lénine et les moutons en bonne place dans College Street, la rue des étudiants, des professeurs et des intellectuels de Kolkata, connue pour ses bouquinistes.


Rue près de la Nakhoda Mosque


Jeune funambule dans une rue populaire

6.3.07

Photos de Kolkata II - Aux abords de la Hooghly


Le fameux Howrah Bridge, sur la Hooghly


Le marché aux fleurs, sous le pont


Un ghat sur la Hooghly (d'aucuns diraient la Ugly), enveloppé dans le brouillard de pollution. (Non, cette photo n'a pas été prise en sépia.)


L'intérieur d'un ghat



Voix ferrée passant près d'un ghat


Deux embarcations sur la Hooghly

Photos de Kolkata I - Kolkata by night


Jeux d'eau et lumières dans les jardins bordant le Victoria Memorial






Entrer dans l'ombre pour dormir sur le trottoir