12.11.06

Samedi 11 novembre, 19h

Voilà presque un mois que je n'ai plus actualisé ce blog. Il y a une raison fort simple à cela : j'ai eu beaucoup de travail ces derniers temps, et, en-dehors des cours, je ne suis que rarement sorti de chez moi, m'installant dans une routine sur laquelle j'ai peu de choses à raconter. Désormais, j'ai rendu tous les travaux que je devais faire. Le semestre se termine. Dans un peu plus de trois semaines, je serai en France, pour un mois. J'avais initialement prévu de profiter de ce que le mois de décembre est entièrement libre à JNU pour beaucoup voyager en Inde, mais diverses considérations m'ont finalement fait changer d'avis, et je passerai donc ce mois en France. D'ici-là, il me reste encore les examens de fin de semestre, mais seuls deux sur les quatre que je dois passer nécessitent de véritables révisions, et pour ces deux cours (Indian Political System et International Relations Theory) les examens de mi-semestre, qui ont plutôt eu lieu aux trois quarts du semestre, ont déjà nécessité la révision de l'essentiel du programme. Je ne suis donc pas encore en vacances, mais je n'en suis pas loin - d'autant que tous les cours sont maintenant terminés pour laisser place au "temps de révision" - et j'espère en profiter pour faire ce que je n'ai absolument pas eu le temps de faire depuis Mumbai : voyager, et continuer de visiter Delhi.

J'ai commencé aujourd'hui en allant au National Museum de Delhi, avec Christian - en ce 11 novembre, jour de commémoration de la fin de la Première Guerre mondiale, il fallait faire honneur à l'amitié franco-allemande, transcendant les hostilités du passé! Le musée semblait passionnant, très riche. Malheureusement, nous avons été surpris par la fermeture du musée - à 17h, ce qui est un peu tôt lorsqu'on sort de table à 15h - alors que nous n'avions pu voir que les premières salles. Ce fut donc un peu frustrant, mais nous reviendrons prochainement pour une visite plus complète. L'entrée du musée étant à une roupie pour les heureux possesseurs d'une carte d'étudiant indienne (à des monnaies-lumière des huit euros et quelques que les étudiants paient, assez scandaleusement, dans les grands musées parisiens!), nous devrions être en mesure de nous offrir cette seconde visite.

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Les journées de jeudi et vendredi ont été marquées à JNU par les élections des représentants étudiants. On votait jeudi, et la journée de vendredi était consacrée au comptage des voix. Les deux jours étaient sans cours, ce qui illustre assez bien à quel point on prend ces élections au sérieux à JNU. En effet, JNU étant une université extrêmement politisée - beaucoup plus que Sciences Po, qui, ironiquement, ne l'est pas tant que ça - ces élections déchaînent chaque année les passions. Depuis plusieurs mois, les syndicats étaient actifs, faisant entendre leurs revendications, intervenant à la fin des cours, menant des grèves - y-compris des grèves de la faim. Il s'agissait de la pré-campagne. Dans les deux dernières semaines avant le vote, on n'a, pour ainsi dire, plus entendu une seule idée ; mais il était difficile de s'installer dans une cafétéria ou de se promener dans les allées les plus fréquentées du campus sans être interpellé par un groupe de quatre étudiants faisant campagne pour leur syndicat, mais se contentant en fait de vous dire leurs noms afin que vous les mémorisiez et puissiez voter pour eux. En effet, on ne vote ni pour une liste, ni pour un syndicat, mais pour des personnes, se présentant à des postes différents - Président, Vice-Président, Secrétaire Général, etc. D'après ce que j'ai compris, les élections à JNU fonctionnent à deux niveaux : chaque étudiant doit d'abord choisir des représentants pour son école (école des sciences sociales, des études internationales, des sciences environnementales, de technologie, etc.), puis des représentants pour le central panel, le comité central.

Globalement, les étudiants avaient le choix entre quatre types de formations : de petites organisations assez mal identifiées politiquement ; les syndicats marxistes à des degrés divers, qui dominent traditionnellement à JNU, et qui sont généralement violemment anti-américains, anti-sionistes et bien sûr anti-mondialisation ; le syndicat NSUI, lié au parti du Congrès ; et les nationalistes hindous - le syndicat aBVP est la branche étudiante du BJP, parti nationaliste hindou, partiellement inspiré par le RSS, groupe fondamentaliste et fascistoïde hindou, et qui a été au pouvoir entre 1999 et 2004, avant le retour du Congrès contre tous les pronostics. N'en sachant pas assez sur les petits syndicats, et n'ayant pas la moindre sympathie pour les marxistes, les nationalistes et le Congrès, je me suis abstenu. Cependant, vendredi, j'ai passé un peu de temps devant l'école des études internationales, où avait lieu le comptage des votes, juste pour me faire une idée de l'atmosphère. Une grande tente avait été dressée dehors, où les étudiants attendaient avec une certaine fébrilité les résultats, égrenés progressivement par un haut-parleur, tout au long de la journée, à peu près chaque fois que cent nouveaux bulletins avaient été dépouillés. Sous la tente, les syndicats avaient chacun leur table, et prenaient en note les résultats provisoires. Il était amusant de voir les mines réjouies des uns, les mines déconfites des autres. Cela seul me permettait de déterminer quel syndicat avait l'avantage, parce que le haut-parleur ne donnait que les noms des candidats, et je ne savais pas à quel syndicat appartenait telle ou telle personne (j'ai déjà du mal à mémoriser les prénoms indiens, j'aurais difficilement pu retenir la centaine de noms des candidats pour les différentes écoles et le central panel). Je ne suis pas resté jusqu'à la fin, parce que c'était vraiment trop long et que les résultats définitifs devaient n'être connus que tard dans la soirée, mais, aux dernières nouvelles, ce serait un des petits syndicats, plutôt conservateur et opposé aux politiques de réservation pour les castes inférieures, qui l'aurait emporté. Si cela se confirme, c'est une révolution à JNU, qui, comme je l'ai dit, est d'habitude plutôt marxiste.

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Il y a quelques semaines a eu lieu Diwali, une des fêtes hindoues les plus importantes (aussi appelée Deepavali). Cette fête symbolise la victoire du bien sur le mal, elle est donc extrêmement joyeuse et optimiste, ce qui explique sans doute pourquoi c'est avant tout un festival des lumières - Diwali signifie "rangée de lumières". Les Indiens passent cette journée en famille. Ils illuminent leurs maisons de guirlandes lumineuses, bougies et autres lampions colorés - ce qui n'est pas sans évoquer à l'ancien Lyonnais que je suis la fête des lumières, célébrée le 8 décembre, pour l'Immaculée Conception. Ils s'offrent des cadeaux, font un repas festif conclu par des pâtisseries. Et, surtout, les adultes comme les enfants lancent des pétards et des feux d'artifice jusque fort tard dans la nuit. Les pétards indiens m'ont d'ailleurs paru beaucoup plus bruyants que ceux dont on a l'habitude en France, par exemple pour le 14 juillet. C'était assez étrange de se promener dans les rues de Munirka ce soir-là, sursautant sans cesse au son des pétards, enveloppé d'une épaisse fumée à l'odeur de poudre où perçaient les lumières multicolores des maisons. Les chiens errants, visiblement terrorisés, aboyaient en écho aux pétards, et les vaches avaient disparu. On se serait presque cru sur le champ d'une furieuse bataille. Et l'on s'y croyait encore le lendemain, après la bataille, marchant dans des rues recouvertes des restes des munitions.

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Il y a une semaine et demie, Marion, Clémence et moi avons été invité au mariage de la soeur de Dhruv, qui se tenait à Delhi, dans une sorte de camp militaire - le mari étant un militaire. Je dois le dire, j'ai été un petit peu déçu. Je m'attendais à une fête pleine de chants, de danses, de costumes traditionnels, bref, à une sorte de comédie musicale à la Bollywood. Je m'y attendais d'autant plus que la famille de Dhruv est originaire du Penjab, et que les Penjabis sont supposés être les plus fêtards des Indiens. Le fait est que le mariage dure plusieurs jours - à peu près une semaine en fait - et qu'il y a des jours qui correspondent à cette image que l'on a spontanément d'un mariage hindou. Malheureusement, nous avons été invité un soir qui était un peu plus solennel, puisqu'il s'agissait des dernières cérémonies officialisant l'union entre les deux époux.

C'était cependant très intéressant, et les gens que nous avons rencontré ont tous été extrêmement gentils et chaleureux avec nous. La mariée était en tenue traditionnelle - les époux étaient d'ailleurs les seuls à porter des costumes traditionnels, tous les convives portant soit des costumes, soit des saris tout-à-fait modernes. (Je m'étais moi-même acheté un costume pour l'occasion, et je dois dire que ne payer que l'équivalent de quatre-vingt-cinq euros pour être vêtu entièrement des pieds à la tête a été une surprise très agréable - en France, je pense que pour ce prix-là je n'aurais eu que les chaussures.) La mariée avait donc un magnifique sari brodé de fil doré et parsemé de petites choses brillantes. De ses poignets pendaient d'étranges constructions d'anneaux dorés qui descendaient sur au moins vingt centimètres. Je n'ose imaginer comme il doit être pénible de porter cela toute la journée. Il était assez amusant de penser que la mariée ainsi vêtue est une Indienne des plus modernes, spécialiste de haut niveau dans l'industrie pharmaceutique, et s'apprêtant à aller travailler en Allemagne. Toute la famille de Dhruv et Dhruv lui-même sont d'ailleurs très modernistes, très progressistes, très ouverts d'esprit - mais un mariage reste une fête éminemment traditionnelle, dont les rituels sont observés scrupuleusement.

Plusieurs choses m'ont marqué dans les diverses cérémonies auxquelles nous avons assisté. D'abord, le fait que les mariés étaient constamment sous le feu des flashes. Quatre photographes et deux cameramen (un par famille, pour faciliter la diffusion des images après le mariage) travaillaient en permanence. La moindre action était découpée en séquences extrêmement brèves, filmées et photographiées des dizaines et des dizaines de fois chacune, avec la famille de la mariée, avec la famille du marié, avec les amis de la mariée, avec les amis du marié, avec les amis du frère de la mariée (nous!), etc., à n'en plus finir! Les pauvres mariés étaient de plus en plus crispés dans leurs posés et avaient de plus en plus de mal à sourire naturellement. Même une star sur le tapis rouge de Cannes ne subit pas un tel acharnement photographique. Tout était donc extrêmement long. Les deux principales cérémonies auxquelles nous avons assisté se décrivent assez rapidement : la première a consisté à ce que chacun des deux époux passe une couronne de fleurs autour de la tête de l'autre ; de la deuxième cérémonie, qui a eu lieu après un bon repas, nous n'avons en fait pas compris grand-chose, et pour cause : un prêtre récitait des textes sacrés en sanscrit (même les Indiens sont très rares à être capables de comprendre cette langue) en lançant de temps en temps diverses poudres dans le feu, et en invitant les mariés, ou leurs familles, à faire de même. D'après ce que m'a dit Dhruv, c'est pour chasser les mauvais esprits et attirer la chance et la prospérité sur le couple. J'ai d'ailleurs également été frappé par le fait que de nombreux billets de banque étaient coincés dans les divers plis de la tenue traditionnelle de l'époux - on dit que les Indiens sont très spirituels, ils sont en fait extrêmement matérialistes, comme je l'ai lu dans un livre dont je parlerai peut-être prochainement (1). Le moment le plus symbolique de cette seconde cérémonie a vu les mariés être reliés l'un à l'autre par un noeud entre leurs vêtements, et tourner ainsi autour du feu. La soirée s'est ensuite achevée pour les convives, mais, comme Dhruv nous l'a expliqué, la mariée devait encore subir les blagues authentiquement salaces choisies par les grands-mères de la famille. Etrange tradition, qui rappelle que le mariage appelle à la fidélité - le noeud -, mais certainement pas à la chasteté, surtout dans le pays du Kama Sutra.


(1) Je donne quand même dès à présent la référence, et la recommande vivement à tous ceux qui veulent avoir des Indiens une vision moins stéréotypée que celle qu'on a généralement en Occident : Pavan K. Varma, Being Indian, Penguin, 2005.